Vu et entendu par Raymond Ménard

Vu et entendu
par Raymond Ménard

Ici est confié le soin de chroniquer à Raymond Ménard, journaliste émérite des régions du Centre et de la Normandie, dont le coup de plume est si précieux que cette rubrique lui appartient depuis cinq ans, en pleine et entière liberté. Quels que soient ses avis, humeurs, appréciations ou critiques, cela va de soi…

Au cinéma Le Trianon, Les Mauvaises herbes
ont donné le coup d’envoi du festival

À la mi-août, Verneuil-sur-Avre retrouve chaque année sa Vache et son Caribou. Et cette année encore, Adbstar-France n’a pas raté ce rendez-vous en donnant le coup d’envoi du huitième festival.

C’est au cinéma Le Trianon, jeudi soir 10 août, que fut projeté le film Les Mauvaises herbes du réalisateur Louis Bélanger. Cette comédie québécoise, jouée par Alexis Martin, Emmanuelle Lussier-Martinez, Luc Picard, Myriam Côté et Gilles Renaud, est quelque peu déconcertante par ses premières images. L’histoire fait se rencontrer des personnages hors normes et, bien vite, entre le comédien qui fuit ses dettes, le vieux solitaire séparé de son fils et qui pratique la culture illégale du canabis, se tissent des liens imprévus d’autant que d’autres personnages se retrouvent mêlés à ces relations soudaines. À la fois cocasse et hilarant, le film hésite entre road movie, thriller qui se cherche et comédie réaliste.

Le public, relâché par le climat canadien et ses intonations souvent truculentes, n’a pas boudé son plaisir. Il a apprécié ce film distingué au festival d’Angoulême et ouvrant joyeusement celui de la Vache et du Caribou.

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Quand la France perdit son Amérique,
par l’écrivain du terroir Alain Dubos

Alain Dubos, un personnage haut en couleur

Après avoir salué l’atmosphère canadienne avec le film Les Mauvaises herbes, Fabien Perucca et son équipe du festival La Vache et le Caribou sont entrés dans le vif du sujet le vendredi 11 août, à la salle des fêtes, en accueillant le conférencier Alain Dubos pour une présentation étoffée d’un long épisode de l’Histoire de France : la perte de l’Empire français d’Amérique, au cours d’une période allant du règne de Louis XIV à celui de son petit-fils le roi Louis XV. Devant un public fortement intéressé, ce grand praticien – écrivain émérite du Sud-Ouest – qui a exercé la médecine humanitaire, notamment en qualité de pédiatre, sur de nombreux continents (Asie, Moyen-Orient, Afrique, Amérique centrale), a effectué un long chemin de solidarité qui le conduisit jusqu’à la vice-présidence, pendant six ans (1981-1987), de Médecins sans Frontières.

Féru de l’Histoire de la France et soucieux de la vérité, cet homme au langage simple mais imagé a su captiver une salle attentive et conquise par la construction de la Nouvelle-France et ces rivalités franco-anglaises où l’homme était souvent réduit à l’état de monnaie d’échange pour ne pas dire de simple jouet entre les deux superpuissances européennes d’alors.

S’appuyant sur une carte de l’Amérique du Nord, il conta le calvaire de ces Français d’Amérique qui n’abdiquèrent jamais, et ne perdirent pas une once de leur foi envers Dieu et leur patrie. Familier de la vie de province et auteur de plusieurs romans, Alain Dubos a su capter l’âme des Acadiens, qui vers la fin du 19ᵉ siècle ont d’ailleurs adopté le drapeau tricolore rehaussé par l’étoile de Marie.

Depuis le 1er janvier 1700 jusqu’en 1759, date de la chute du Québec – époque où le plus long fleuve de France grossi du Missouri s’appelait le Mississippi – la bataille fit rage. Les Français luttaient à un contre dix mais ne furent jamais trahis par les autochtones. Ce pays changea sept fois de propriétaire en cent ans, les Acadiens préférant les Français qui les traitaient en frères plutôt que les Anglais qui les regardaient comme des étrangers.

Truffant son récit d’anecdotes, Alain Dubos séduisit la salle, n’hésitant pas à souligner à plusieurs reprises les déportations dont furent victimes les Acadiens et concluant sa causerie avec la cession de la Louisiane par Napoléon Bonaparte.

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Quand l’Histoire s’illustre au théâtre
pour mieux se faire comprendre

Louis XV et Mme de Pompadour réglant le délicat problème de la Louisiane


Louis XV et le marquis de Maurepas

Le fantôme de Louis XIV ne suffira pas à convaincre son petit-fils
Dans la foulée de sa conférence sur l’aventure tragique de la perte de ses territoires américains par la France, Alain Dubos a présenté au public vernolien, réuni à la salle des fêtes, une pièce de théâtre que sa passion de l’histoire l’a obligé à rédiger et jouer.

S’appuyant sur les techniques modernes de l’enregistrement et de la projection, l’auteur a surtout cherché à restituer l’événement en saupoudrant la pièce de citations réelles notées dans de nombreux livres d’histoire. Sa conférence initiale fut d’ailleurs un sérieux sésame pour mieux suivre ces pages contant l’aventure de notre peuple au Nouveau Monde. La présence du fantôme de Louis XIV apportant son expérience à son petit-fils Louis XV empêtré dans ses désirs royaux – mais coincé par la clairvoyance assidue de la marquise de Pompadour – et sa vie ponctuée de parties de chasse comme d’escapades amoureuses toutes plus attrayantes les unes que les autres, n’empêcha pas ce dernier de faire preuve de négligence dans ses affaires internationales. Louis XV sera aussi impuissant que son grand-père, qui avait cédé l’Acadie aux Anglais, à reprendre la Nouvelle-France, et le traité de Paris en 1763 scellera le sort de l’Acadie.

Mise en scène par Daniel Annotiau avec une conception technique signée par Raphaël Mondon et Lucie Raimbault, laquelle incarne dans la pièce la belle marquise de Pompadour, Et l’Acadie, Majesté ? fut créée en 2013 au Nouveau-Brunswick. La participation de Patrice Carpuat en Louis XV et de Raphaël Mondon dans le double rôle des ministres Maurepas et Choiseul apporta aux personnages toute la véracité d’une cour royale bien loin du sens des responsabilités qu’exigeait leur pouvoir.

L’assistance, séduite par le sujet et le jeu des acteurs, a apprécié cette page d’histoire révélatrice du gouffre dans lequel le royaume de France perdit son argent et ses dernières illusions en même temps que ses provinces américaines.

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Des îles de la Madeleine au pied de la tour du même nom : la jeunesse québécoise musicalement triomphante

Le quintette en pleine action sur la scène vernolienne

Succédant le lendemain samedi 11 août au palais de Versailles où s’était jouée la perte de l’Acadie, le quintette Tradition’Îles s’est emparé de la scène de la salle des fêtes de Verneuil pour révéler sa jeunesse, son talent et sa façon personnelle d’aborder la vie. Cinq jeunes, originaires des îles de la Madeleine situées au milieu du Saint-Laurent, ont apporté, avec leurs instruments, les musiques country et l’art libre de danser pour le plaisir. Plus représentants du tiers état avec leurs costumes de scène négligés, pantalons aux genoux déchirés et casquette de jockey chaussée à l’envers, ils ont néanmoins démontré, malgré leur jeune âge encore en quête des réalités de la vie (ils ont à peine atteint les deux décennies), qu’ils sont tous habités par la joie de vivre et un talent musical révélateur.

Le quintette, composé de Simon Vigneault, Gabriel Leblanc, étienne Cormier, Jean-Sébastien Lebel et évann Martinet, enchanta le public par sa fougue et son déferlement de notes échappées au grand galop de son premier album. Et le public l’a récompensé de vigoureux applaudissements.

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Quand Jocelyn Pettit offre dans une séduisante
ambiance familiale la grande classe de son talent

Jocelyn (à droite) en compagnie (à gauche) de papa à la percussion et (au centre) de maman au piano

Samedi 12 août, l’assistance de la salle des fêtes fut invitée à une soirée de grande classe : un bal folk animé par le quintette familial du Jocelyn Pettit Band.

Longues jambes gainées de sombre, robe courte couleur groseille et boléro nuit, Jocelyn Pettit s’empara d’entrée de son violon fétiche et, jouant des claquettes avec l’habileté d’une dancing girl irlandaise, entraîna le public dans un rythme communicatif. Avec sa silhouette semblable à l’algue légère ondulant dans le frais courant d’une rivière, elle galvanisa les spectateurs qui bientôt formèrent sur le parquet une chaîne de danseurs ravis.

Entourée de son papa Joel aux percussions, de sa maman Siew Wan Khoo au piano et au violon, de Colm MacCárthaigh à la guitare et d’Erik Musseau aux sifflets irlandais et autres uilleann pipes, Jocelyn révéla, outre sa dextérité au violon, son talent à la podorythmie. Cette princesse de la musique et du rythme, qui joue d’élégantes séries de compositions visitant la sphère musicale du globe, a fait l’unanimité d’une salle conquise. Originaire de la région de Vancouver, en Colombie-Britannique, elle interprète volontiers des airs du monde entier tels que la valse norvégienne, les airs du Pakistan ou ceux d’Amérique du Sud, ou bien encore les chants d’Alan Stivell, grand prêtre des Celtes. Mais elle compose aussi de savoureuses pièces musicales toutes empreintes de sa fraîcheur juvénile.

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Maryanne Côté : l’audace de la jeunesse

23 ans et des promesses qu’il faudra confirmer

Présentée comme la chanteuse émergente du Québec, notamment dans le monde curieux des réseaux sociaux sur Internet, Maryanne Côté, seule avec sa guitare, a fait preuve de beaucoup d’audace sur la scène vernolienne, le dimanche 13 août. Avec un répertoire qui traduit la vitesse trop rapide du temps qui passe, elle parle d’un vécu qu’elle n’a pas encore eu le temps d’apprécier, et la jeune artiste, naviguant entre introspection et nostalgie (déjà !), s’est laissée embarquer par des souvenirs rêvés qu’elle s’efforça de conclure avec un humour bien personnel. Trop pressée sans doute de se hisser en haut de l’affiche et de rejoindre le monde adulte et ses problèmes, elle adopte un costume de scène désinvolte et dans l’air du temps.

Sa voix, pleine de charme, et son jeu de notes subtiles mériteraient de prendre appui sur les richesses poétiques d’un Gilles Vigneault ou d’un Félix Leclerc inoubliables. Le surlendemain, mardi 15 août, à la Gueule d’Enfer, elle anima la grande brocante organisée par le quartier Notre-Dame puis, en début de soirée, la jeune Maryanne retrouva la scène, dans la nouvelle salle de Francheville inaugurée pour la circonstance.

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Un trio de guitares
et Katerine Desrochers vers les sommets

Dimanche soir 13 août, à la salle des fêtes vernolienne, le jazz s’est invité avec la venue du trio BBQ et de la chanteuse Katerine Desrochers, talentueuse interprète.

BBQ, autrement dit les initiales de trois musiciens guitaristes virtuoses, Mathieu Beaudet, Jean-Michel Bérubé et Vincent Quirion. Trois garçons talentueux pour accompagner une chanteuse nourrie par la culture des beaux textes et des musiques riches, joyeusement partagées. Avec, en trame, le jazz manouche et ses rythmes à la Django Reinhardt. Ce quatuor, déjà venu en 2011 au silo de Verneuil et apprécié à sa juste valeur, a offert une prestation de belle qualité. Avec un répertoire soigné, Katerine Desrochers n’hésite pas à aller chercher, jusqu’au fond des Yeux noirs de Django Reinhardt, Le P’tit bonheur de Félix Leclerc.

C’est elle encore qui demandera au Soldat de plomb ses récits de champs de bataille, et elle toujours qui chantera La Grande bleue après une exécution magistrale de La Chevauchée de Guillaume Tell par ses trois compagnons de scène devant une salle enthousiaste.

Katerine Desrochers : une grande fille toute simple


En communion avec ses partenaires du début à la fin

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Annette Campagne : une voix « papillon Amiral »

Annette Campagne dans son tour de chant


La chanteuse accompagnée par Dave Lawlor, son mari, aux claviers

Encore un groupe familial. À croire que le chant est une affaire de famille chez nos amis d’outre-Atlantique. Mais nul ne s’en plaindra tant le cru de cette année a révélé de belles voix et des textes qui accrochent l’âme et le cœur.

Le lundi 14 août, la salle des fêtes vernolienne a accueilli le trio d’Annette Campagne. Une chanteuse toute simple et sans chichis. Accompagnée de sa jeune sœur Michelle à la basse et de Dave Lawlor, son mari aux claviers, l’artiste a révélé toute la gamme de sa voix magique, glissant avec générosité du folk mélodieux au rock solide en passant par la pop music réactualisée et des airs passés de génération en génération.

De son petit village caché au fin fond du Saskatchewan, elle a rapporté des airs traditionnels revus et rajeunis tels que l’histoire de Calamity Jane, chercheuse d’or et de cœurs, ou l’évocation du pays de Claude Léveillé faisant écho à celui de l’admirable Gilles Vigneault.

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Les Tireux d’Roches, ambassadeurs de la joie de vivre

Les Tireux d’Roches, le spectacle qu’il ne fallait pas manquer

Portant dans leurs veines le riche sang de leurs ancêtres débardeurs de troncs d’arbres qu’ils faisaient voyager au fil des rivières, les Tireux d’Roches ont offert un véritable feu d’artifice pour la dernière soirée présentée aux spectateurs de la salle des fêtes vernolienne, le lundi 14 août. Une apothéose de joie partagée et de bonheur répandu à un public totalement subjugué. Chose certaine, les absents ont eu tort de se priver d’un tel spectacle bouillonnant de chaleur humaine. À l’heure où, dans un monde déboussolé, des individus sans conscience transforment nos simples joies en tragédies, ce groupe québécois a su en toute simplicité offrir des heures de liesse sans arrière-pensée.

Les cinq garçons, Denis Massé, Dominic Lemieux, Pascal Veillette, Luc Murphy et David Robert, ont déployé toute leur énergie, chauffé la salle et brûlé les planches de leur enthousiasme communicatif. Sur leurs traits, tels ceux de leur meneur, un simple nez rouge aurait suffi pour transformer le visage en face de clown. Se métamorphosant en conteur riche de bagout – et en musicien virtuose – il donna l’exemple à ses amis, tous brillants de dextérité et d’entrain.

Histoires vécues, instants de tous les jours truffés d’expressions savoureuses exprimées avec un talent bon enfant firent passer au public conquis des heures d’enthousiasme et riches d’amitié. Que le neuvième festival, l’an prochain, soit à l’image de cette rencontre qui a définitivement trouvé sa raison d’être dans la vie culturelle estivale de la ville, trop souvent dépouillée.

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Juste la fin du monde :
un huis clos magistral signé Xavier Dolan

Gaspard Ulliel, le héros du film


Vincent Cassel et Gaspard Ulliel dans le huis clos d’une voiture

Sorti en 2016 et couronné par le Grand Prix du festival de Cannes et trois César (meilleur réalisateur, meilleur acteur et meilleur montage), Juste la fin du monde est venu apporter une brillante touche finale au 8ᵉ festival de la Vache et le Caribou, au cinéma Le Trianon, le jeudi 17 août.

Habitué de cette rencontre culturelle annuelle de la vallée d’Avre, Xavier Dolan, jeune prodige canadien passionné de cinéma, compte déjà à son palmarès de belles réussites. Mais son côté provocateur lui a aussi valu quelques critiques acerbes peu souvent méritées. Avec cette dernière œuvre servie par une quinte d’acteurs exceptionnels, Nathalie Baye, Marion Cotillard, Léa Seydoux, Gaspard Ulliel et Vincent Cassel, il réussit une analyse merveilleusement filmée d’un huis clos digne de Jean-Paul Sartre.

En s’attaquant au retour-pèlerinage, dans sa famille, d’un homme encore jeune qui se sait condamné par une mort prochaine, il dépeint, de façon magistrale, les rapports conflictuels régnant parmi cette famille. Et toute la sarabande des non-dits – de l’incompréhension à l’état brut – et des rancœurs inavouées entre les membres de ce cercle familial explose dans un dialogue hésitant, prudent et finalement cruel, une sorte de gangue qu’aucun personnage ne réussit à faire sauter. Enfin lorsque, par pudeur rentrée autant que par violence non maîtrisée, la séparation arrive, rien n’a été formulé, au point que chacun repart avec ses convictions sans avoir révélé la vérité lovée au fond de son être.

Filmée de près, les yeux dans les yeux, cette histoire, qui pourrait n’être que banale, gagne avec ses gros plans rapprochés toute la profondeur mystérieuse qui habite chaque individu. Une réussite qui contribue au succès reconnu de ce cinéaste passionné.